Ville estudiantine, avec de magnifiques musées, notamment autour de l’incomparable place Stanislas, Nancy est un des joyaux de la Lorraine, rendant hommage à différentes périodes de l’art classique, mais également moderne.
La présence juive nancéenne semble dater du moyen âge, comme l’atteste l’expulsion dont ils furent victimes en 1176. Le duc de Lorraine favorise l’arrivée des juifs au début du 13e siècle. Il leur permet de louer un terrain à Laxou afin de l’utiliser comme cimetière pour Nancy et les villages environnants. Avant sa désaffection, suite à l’expulsion des juifs du duché en 1477, des pierres tombales de ce cimetière furent utilisées pour la construction d’une église. Il s’agit de l’unique témoignage matériel de la vie juive médiévale en Lorraine. Elles se trouvent actuellement au Musée lorrain, qui est actuellement fermé pour rénovations jusqu’à 2029.
Cinq familles juives, qui avaient obtenu un droit de résidence à Nancy en 1636, sont expulsées en 1643. Léopold, duc de Lorraine, émet en 1698 des ordonnances accusant les juifs de contrats illicites, mais en 1710 il leur permet de se réinstaller officiellement à Nancy. Le duc ayant recours au banquier messin Samuel Lévy, il le nomme receveur général des Finances, avant de l’emprisonner et de l’expulser. Le duc limite en 1721 la présence juive. En parallèle, il autorisa une synagogue à Boulay et reconnut un chef de la communauté, le nancéen Moyse Alcan.
En 1754, un acte ducal reconnait la communauté juive de Nancy, sous Stanislas Leszczinski qui, dès 1737, autorise les juifs à se choisir un rabbin. Leur situation économique est précaire, souffrant des interdictions de pratiquer des métiers liés à l’agriculture et l’artisanat. Ainsi, ils sont limités à certaines activités commerciales, en tant que marchands de bestiaux, chevaux et grains ou colporteurs.
Suite à une requête auprès de Louis XIV, les juifs sont autorisés à construire des synagogues, cinq siècles après l’ordonnance leur interdisant cela. Ainsi, sont inaugurées à Lunéville (1786) puis Nancy (1788) deux synagogues, les premières de style moderne en France, construites par l’architecte Augustin Piroux. Celle de Nancy fut agrandie en 1841 et en 1861. Sa façade fut transformée en 1935. De l’édifice d’origine, il demeure l’Arche sainte, avec des colonnes de marbre et un style corinthien.
Le souffle de l’Emancipation de 1789 souffle sur la lorraine également. C’est d’ailleurs dans la région, inspirée également par l’œuvre de Mendelssohn et la Haskalah, que le périodique Ha-Meassef compte le plus d’abonnés après Berlin.
Le ministre Malesherbes anime une commission dans ce sens à laquelle participent le Nancéen Berr Isaac Berr et les Messins Pierre-Louis de Lacretelle et Pierre-Louis Roederer. Ce dernier fut l’instigateur du concours organisé par la Société des sciences et arts de Metz qui soumit à la réflexion des candidats la question « Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ? ». Trois mémoires furent couronnés : ceux de Claude-Antoine Thiéry, Zalkind Hourwitz et surtout celui de l’Abbé Grégoire. Lequel défendit à l’Assemblée nationale l’accès pour les juifs aux droits et devoirs de la citoyenneté. Son « Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs » parait en 1789 après avoir remporté le prix de l’Académie. L’Emancipation des juifs décrétée le 27 septembre 1791 leur permet donc d’accéder aux écoles, métiers et obligations de tout citoyen.
Également très présents dans ces combats et marquant l’intégration réussie des juifs de France par l’Emancipation, la famille nancéenne Berr. Isaac Berr s’installa à Nancy en 1724, ouvrant un commerce de tissus de luxe et devenant « marchand ordinaire » de la Cour. Ce succès permit à ses enfants, en particulier Berr Isaac Berr de s’engager pour l’Emancipation des juifs de France en devenant le représentant les juifs de Lorraine aux Etats généraux de 1789, puis en siégeant au Grand Sanhédrin. Son neveu, Jacob Berr (1762-1836) publie deux pamphlets sous la Révolution en faveur de l’Emancipation des. Lion Berr (1768-1826), frère de Jacob, devient un des premiers juifs officiers de l’armée en 1800.
Tout le long du 19e siècle, le judaïsme lorrain baisse numériquement, au profit des régions parisiennes et lyonnaises. Ainsi, en 1853, ils ne sont plus que 1400 juifs nancéens. Parmi les figures importantes de cette époque et preuve du dynamisme du judaïsme lorrain, on peut citer Marchand Ennery (1792-1852), grand rabbin de France.
Au sein de la main-d’œuvre venue reconstruire la France après la Première Guerre mondiale, on retrouve de nombreux juifs polonais. Ils sont principalement ouvriers dans le textile, la sidérurgie et l’industrie chimique. Ces juifs nancéens créent en 1924 l’Association Cultuelle Israélite de Rite Polonais, rebaptisée plus tard Association Culturelle Juive (ACJ) . Ainsi, ils y perpétuent le partage de la culture yiddish et y installent un oratoire pour prier.
Œuvre importante du patrimoine culturel juif, La Revue juive de Lorraine, créée en 1925 par le nancéen Robert Lévy. Laquelle se spécialise dans la publication d’études historiques et de textes approfondissant la connaissance du judaïsme. Elle est ensuite dirigée par le rabbin Paul Haguenauer entre 1927 et 1940, puis entre 1948 et 1969 par le rabbin Simon Morali.
Durant l’occupation, des inspecteurs de police préviennent les juifs d’une rafle imminente en juillet 1942 et en sauvent ainsi 385. 32 juifs furent arrêtés, soit parce qu’ils n’avaient pas trouvé de lieu de fuite ou crû l’avertissement. Le sauvetage fut organisé par les inspecteurs Edouard Vigneron et Pierre Marie.
Ils chargèrent leurs hommes Charles Bouy, Henri Lespinasse, Charles Thouron, Emile Thiébault et François Pinot de prévenir les juifs et aussi de les aider à quitter la ville, notamment en fournissant de faux papiers ou en les hébergeant. L’histoire est longuement racontée par Lucien Lazare dans le Livre des Justes.
Afin de perpétuer et saluer cet esprit de révolte contre l’occupant, l’Association Culturelle Juive de Nancy (ACJ) célèbre chaque année la Révolte du Ghetto de Varsovie. Le centre possède d’ailleurs une toile du peintre Mané Katz, L’insurrection du ghetto de Varsovie.
Il y a également à Nancy le centre communautaire André Spire , qui, comme l’ACJ, propose de nombreuses activités culturelles et dispose d’un oratoire.
La venue des juifs sépharades dans les années 1960 permet de redonner un dynamisme religieux. Représentant une grande partie de la communauté actuellement, la synagogue alterne les rites ashkénaze et sépharade le shabbath. De grands cantors tels André Stora et Michel Heymann ont profondément marqué les juifs nancéens, comme le montra le film consacré à la communauté par Josy Eisenberg dans son émission télévisée hebdomadaire.
Le cimetière juif est situé dans le cimetière de Préville, avenue de Boufflers. A l’entrée, un monument du souvenir rend hommage à l’assassinat d’une partie de la communauté juive de Nancy. Le nom de chaque enfant disparu est inscrit sur une petite stèle placée devant des arbustes posés par des écoliers en 1987.
La ville de Nancy accueille évidemment de très beaux et originaux musées. Parmi ceux-ci et à proximité du cimetière, la Villa Majorelle, ancienne propriété de l’artiste Louis Majorelle, avec ses nombreuses œuvres étonnantes d’Art nouveau. En parlant d’Art nouveau, la sublime Brasserie L’Excelsior, construite en 1911, ravit les touristes et locaux.
Le Musée Lorrain , qui se trouve sur la très belle place Stanislas, représente un magnifique hommage aux différentes époques historiques de la région. Une de ses salles présente de nombreuses œuvres de judaïca. Des gravures et livres anciens exposés par tiers afin de ne pas trop les abimer. En 2009, le musée a d’ailleurs accueilli une très belle exposition intitulée « Les Juifs et la Lorraine, un millénaire d’histoire partagée ».
Le musée des Beaux-Arts de Nancy borde la place Stanislas et présente de nombreuses œuvres d’artistes européens. En 2023-2024, il a consacré une exposition à « René Wiener : lorrain, juif et moderne ».
Rencontre avec l’équipe dirigeante de l’ACJ
Jguideeurope : Comment a évolué l’association au fil du temps ?
ACJ : Au départ, l’association créée en 1924 par des migrants originaires de Pologne, d’Ukraine, de Lituanie et de Roumanie se situait dans un lieu différent. Lesquels souhaitaient avoir à la fois une vie religieuse et culturelle distinctes. La rue des Ponts, sur laquelle se trouve aujourd’hui d’ACJ, accueillait à cette époque des ateliers de fabrication textile et des vendeurs de shmates, étant à proximité du marché. Lorsque les premières générations de migrants de cette région sont arrivées, ils étaient assez pauvres et travaillaient durement dans ces métiers afin d’envoyer leurs enfants poursuivre de longues études.
L’association a joué son rôle avec un oratoire qui fonctionnait. Suite à la guerre, l’association s’est reconstituée avec des sensibilités un peu différentes. Très marquée par la participation à toutes les nuances politiques : du sionisme de gauche, au communisme et au bundisme. Ce qui a amené progressivement à une vie de plus en plus culturelle et moins cultuelle, d’où le changement de nom, passant de Association Cultuelle Israélite de Rite Polonais à Association Culturelle Juive.
Quels objets symbolisent ces différentes époques ?
En bas est situé l’oratoire et le tableau de Mané Katz datant de 1946 et peint en hommage à l’insurrection du Ghetto de Varsovie. Ainsi que sa fresque des Klezmorim, qui est devenue l’emblème de notre association. Celle-ci témoigne de la façon dont Mané Katz s’est senti à l’aise dans cette communauté et a voulu la remercier. A l’entrée se trouve la stèle mémorielle avec les noms de toutes les personnes assassinées. Nous avons également une des plus grandes bibliothèques yiddish de France, après celles de Paris. Elle contient plus de 3000 livres.
Quelles sont les activités culturelles proposées ?
Notre association continue à être active et réunit des membres juifs et non juifs intéressés par cette culture. Avec des temps forts le long de l’année. Le deuxième week-end de septembre se déroule le Festival du « Livre sur la Place » dont l’ACJ est partenaire. A chaque édition, au moins une conférence est organisée dans notre association ou au centre communautaire Spire. Nous participons au Festival « Diasporama » avec la projection de films à thématique juive. Et puis, bien sûr, les « Journées Européennes de la Culture Juive », principalement animées par l’universitaire Danielle Morali, qui est également la fille de l’ancien grand rabbin de Nancy, Simon Morali.
Et concernant les thématiques mémorielles ?
Le yizkor est effectué chaque année à l’association devant la grande plaque en marbre en souvenir des déportés, avant celui prononcé à la synagogue. Des commémorations ont lieu régulièrement en souvenir de l’insurrection du Ghetto de Varsovie, principalement en mars-avril. En novembre, dans le parc de la Pépinière, près de l’allée de Kyriat Shemona, ville avec laquelle Nancy est jumelée, on commémore l’assassinat de Rabin face à un arbre planté là-bas, en présence d’officiels de la ville. La municipalité est d’ailleurs en train de créer un parcours mémoriel.