Le Sud se distingue fortement du reste de la péninsule italienne en raison de la présence juive brutalement interrompue par l’expulsion de 1510, car cela se reflète dans le patrimoine archéologique assez exigu.
En Calabre, les Juifs n’ont pas connu l’isolement des ghettos, mais ils ont vécu dans leurs quartiers, les « Giudecche ». Près de Vibo Valentia (ville autrefois appelée Monteleone), sur la splendide côte tyrrhénienne, on trouve le quartier juif de Nicotera, l’un des plus grands de Calabre, fondé par l’empereur Frédéric II en 1211, que l’on peut agréablement visiter. Un peu plus loin, sur des collines, on pourra s’émerveiller de la « Giudecca » du charmant village appelé Arena, et peu éloignée la « Giudecca » de Soriano Calabro, où prospéraient les artisans et notamment les teinturiers juifs et où l’on peut trouver les traditionnels gâteaux aux recettes anciennes hébraïques, les « mostaccioli », à base de farine, miel et amandes.
La communauté juive orthodoxe aujourd’hui n’existe pas en tant que telle en Calabre, car il y a peu de pratiquants et quelques dizaines sont sur le chemin du retour ou de la conversion au judaïsme. Pour cette raison, la Calabre dépend de la communauté de Naples, mais elle est riche en histoire du judaïsme. Il est cependant venu des États-Unis un souffle nouveau grâce à une juive progressiste, le rabbin Barbara Aiello, américano-calabraise, bien décidée à contribuer à la résurgence des anusim, les descendants des juifs du sud contraints à la conversion au début du XVIe siècle. En 2007 elle a créé la synagogue Ner Tamid (la lumière éternelle) à Serrastretta (province de Catanzaro), dans le but de faire revivre ce judaïsme calabrais qui, depuis des siècles, existe bel et bien à l’état latent et qui ne demandait que cela sous le soleil du sud de l’Italie.
De toute cette histoire calabraise, nous rappelons que Shabbetay Donnolo, célèbre médecin et philosophe, a opéré à Rossano vers l’an 1000 ; qu’à Reggio Calabria, le 5 février 1475, fut imprimé le commentaire de Rachi sur le Pentateuque, premier ouvrage en hébreu avec indication de la date. De plus, les parents du grand kabbaliste Hayim Vital, connu sous le nom de « il Calabrese », étaient originaires de la région.
Il convient de noter que la synagogue du IVe siècle de Bova Marina, riche en mosaïques, la plus ancienne d’Occident après celle d’Ostia Antica, est témoin d’une communauté florissante. Des preuves archéologiques de la diaspora juive peuvent également être vues au Musée Archéologique National de Reggio Calabria, à l’Antiquarium Leucopetra di Lazzaro, un hameau de Motta San Giovanni, à Vibo Valentia, et au Musée Archéologique National de Scolacium à Roccelletta di Borgia.
Sur la côte ionienne, à Monasterace marina, près de Riace marina, où furent trouvés les deux géants en bronze, on pourra se rendre auprès de la Bibliothèque de l’association culturelle Agafray qui a été ouverte par la sœur de Agazio Fraietta, un passionné de la culture juive, décédé, afin de sensibiliser les calabrais à leur héritage culturel, notamment hébraïque. On y trouvera une bibliothèque riche en documents concernant le passé de la région et des activités ludiques ayant trait aux activités artistiques régionales.
De nos jours, dans la province de Cosenza, on trouve à Ferramonti ce qui reste du camp de concentration pour juifs étrangers, construit pendant la dernière guerre mondiale. Sur la Côte des Cédratiers (entre Tortora et Cetraro, concentrée autour de ‘Santa Maria del Cedro’), chaque année, au mois d’août, des rabbins du monde entier viennent récolter les excellents cédrats de Calabre qui font partie intégrante des célébrations de la fête de Souccot.
À Cosenza, pour la récurrence de la Fête juive des Lumières, un majestueux candélabre est allumé publiquement à Largo Antoniozzi, dans le centre historique, à proximité de l’ancien quartier juif. De plus, le Festival de la cuisine casher en Calabre a été inauguré en 2019.
Une curiosité : à Reggio de Calabre, le touriste pourra se promener tout le long d’une très belle rue dédiée à Aschenez (arrière-petit-fils de Noé) qui, selon une légende, aurait fondé cette belle ville qui plonge son regard charmeur sur la Méditerranée.
Texte de Riccardo Guerrieri
Rencontre avec Lina Fraietta, au sujet d’un très beau projet créé dans la ville de Monasterace, une bibliothèque permettant aux chercheurs et visiteurs de mieux connaitre le patrimoine culturel juif de Calabre.
Jguideeurope : Comment le projet de bibliothèque a-t-il vu le jour ?
Lina Fraietta : La bibliothèque Agafray est gérée par l’association culturelle Agafray. L’association a été créée en mémoire de mon frère, Agazio Flaviano Fraietta, à mon initiative. Bien qu’il n’ait pas de qualifications académiques, Agazio était un érudit et un chercheur passionné de la culture calabraise et de l’histoire des Juifs en Calabre.
Au cours des dernières années, il avait rassemblé plus de 2 500 livres et objets, calabrais et juifs, qui constituent aujourd’hui le patrimoine livresque de la Biblioteca Agafray, située à Monasterace, où Agazio est né.
Un département dédié aux enfants et aux jeunes a été ajouté, à mon initiative, avec des livres et le lancement de divers ateliers créatifs pour les enfants.
L’un des objectifs de la bibliothèque étant de faire connaître le territoire, une maison de vacances, la « casa Agafray », a été créée dans un village voisin : Sant’Andrea Apostolo dello Ionio. La maison favorise les séjours des membres de l’Association et de ceux qui veulent connaître la Calabre.
Participez-vous à des projets culturels ou éducatifs dans la région ?
La bibliothèque et l’association sont au service des citoyens ; entre-temps, plusieurs événements ont été proposés et organisés sous le patronage d’institutions locales, en particulier la municipalité de Monasterace où se trouve la bibliothèque. Elle n’est actuellement pas impliquée dans des projets scolaires ou régionaux spécifiques.
Quel livre sur l’héritage juif de la Calabre vous a particulièrement impressionné ?
Plusieurs livres sur le patrimoine juif, en possession de la bibliothèque, m’ont impressionné, bien que peu d’auteurs et de chercheurs se soient consacrés à ce thème ; je n’en citerai qu’un parmi tous : Gli Ebrei nell’Italia Meridionale (Les Juifs en Italie du Sud), de Nicola Ferorelli.