
Le Sud se distingue fortement du reste de la péninsule italienne en raison de la présence juive brutalement interrompue par l’expulsion de 1510, car cela se reflète dans le patrimoine archéologique assez exigu.
La communauté juive orthodoxe aujourd’hui n’existe pas en tant que telle en Calabre, car il y a peu de pratiquants et quelques dizaines sont sur le chemin du retour ou de la conversion au judaïsme. Pour cette raison, la Calabre dépend de la communauté de Naples, mais elle est riche en histoire du judaïsme. Il est cependant venu des États-Unis un souffle nouveau grâce à une juive progressiste, le rabbin Barbara Aiello, américano-calabraise, bien décidée à contribuer à la résurgence des anusim, les descendants des juifs du sud contraints à la conversion au début du XVIe siècle. En 2007 elle a créé la synagogue Ner Tamid (la lumière éternelle) à Serrastretta (province de Catanzaro), dans le but de faire revivre ce judaïsme calabrais qui, depuis des siècles, existe bel et bien à l’état latent et qui ne demandait que cela sous le soleil du sud de l’Italie.

Une présence historique qui est actuellement documentée, pour les différentes localités calabraises, par le blog et page Facebook, Jewish Calabria – Cultura e retaggio ebraico.
De toute cette histoire calabraise, nous rappelons que Shabbetay Donnolo, célèbre médecin et philosophe, a opéré à Rossano vers l’an 1000 ; qu’à Reggio Calabria, le 5 février 1475, fut imprimé le commentaire de Rachi sur le Pentateuque, premier ouvrage en hébreu avec indication de la date. De plus, les parents du grand kabbaliste Hayim Vital, connu sous le nom de « il Calabrese », étaient originaires de la région.
Il convient de noter que la synagogue du IVe siècle de Bova Marina, riche en mosaïques, la plus ancienne d’Occident après celle d’Ostia Antica, est témoin d’une communauté florissante. Des preuves archéologiques de la diaspora juive peuvent également être vues au Musée Archéologique National de Reggio Calabria, à l’Antiquarium Leucopetra di Lazzaro, un hameau de Motta San Giovanni, à Vibo Valentia, et au Musée Archéologique National de Scolacium à Roccelletta di Borgia.

De nos jours, dans la province de Cosenza, on trouve à Ferramonti ce qui reste du camp de concentration pour juifs étrangers, construit pendant la dernière guerre mondiale. Sur la Côte des Cédratiers (entre Tortora et Cetraro, concentrée autour de ‘Santa Maria del Cedro’), chaque année, au mois d’août, des rabbins du monde entier viennent récolter les excellents cédrats de Calabre qui font partie intégrante des célébrations de la fête de Souccot.
À Cosenza, pour la récurrence de la Fête juive des Lumières, un majestueux candélabre est allumé publiquement à Largo Antoniozzi, dans le centre historique, à proximité de l’ancien quartier juif. De plus, le Festival de la cuisine casher en Calabre a été inauguré en 2019.
Une curiosité : à Reggio de Calabre, le touriste pourra se promener tout le long d’une très belle rue dédiée à Aschenez (arrière-petit-fils de Noé) qui, selon une légende, aurait fondé cette belle ville qui plonge son regard charmeur sur la Méditerranée.
Texte de Riccardo Guerrieri
Rencontre avec Vincenza Triolo, conservatrice et créatrice d’un site dédié au patrimoine juif calabrais.
Jguideeurope : Estimez-vous qu’il y a un regain d’intérêt pour le patrimoine culturel juif calabrais ?
Vincenza Triolo : Oui, assurément. Toutefois on doit remarquer aussi que, dans certains cas, il ne s’agit de rien d’autre que d’une curiosité passagère et, malheureusement, dans d’autres, on peut assister à des phénomènes de marketing culturel, à la recherche d’un nouveau business régional dont les profits reviendraient aux personnages habituels qui exploitent les ressources de la région au détriment de tous ceux qui souhaitent intervenir honnêtement sur le territoire.
Ce regain a commencé à se manifester quand ?
Depuis environ deux décennies, les activités de promotion, de diffusion et de valorisation de la culture et du patrimoine culturel juif calabrais se sont intensifiées. La publication de nouvelles recherches a favorisé une prise de conscience quant à la présence juive en Calabre, au fil des siècles, et, par conséquent, de son impact sur l’histoire même et sur le destin des villages calabrais.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer le site et que propose-t-il ?
En 2013, lorsque j’ai vu, pour la première fois, à l’Antiquarium de Leucopetra, la lampe à huile (“lucerna”) avec sa Menorah imprimée, j’ai eu comme un sentiment étrange de familiarité avec cet objet. C’est ce qui m’a poussée à partir à la recherche de quelque chose, sans savoir quoi précisément. Je suis moi-même chercheuse et experte dans le domaine du patrimoine culturel et assez rapidement j’ai effectué des découvertes concernant le patrimoine culturel juif calabrais. Ainsi, j’ai été contactée par le Dr. Roque Pugliese, responsable du District de Calabre pour la Communauté juive de Naples au sein de l’UCEI, avec qui j’ai commencé à collaborer. Le besoin s’est bientôt fait sentir de commencer un blog et des pages Web où je pourrais travailler dans le respect des règles, mais sans restrictions pour les besoins des autres. Ainsi est né le blog “Calabre juive – Culture et patrimoine juif” pour partager toutes les informations possibles dans ce domaine. Mon but principal consistait d’une part à faire prendre conscience aux populations locales de l’apport de la culture juive aux caractères identitaires calabrais, mais aussi de contribuer concrètement à faire revivre la présence juive en Calabre, et à briser les préjugés.

Quel endroit méconnu de ce patrimoine mérite plus d’attention ?
Difficile de répondre. En fait, je crois que tous les sites d’intérêt culturel le méritent, ainsi que les objets liés au patrimoine culturel exposé dans les différents musés calabrais ou encore les vestiges d’anciens quartier juifs (“giudecche”). Mon site offre d’amples présentations (en français aussi) de tous les sites actuellement répertoriés et ma page Facebook donne des informations presque quotidiennes, en langue italienne, sur toutes les découvertes et les manifestations concernant la présence juive en Calabre (et en diverses régions d’Italie).
Pouvez-vous partager une anecdote avec un visiteur qui vous a particulièrement ému ?
La plus belle anecdote est liée à une visite d’une dame à Bova Marina, au Parc Archéologique de San Pasquale, là où demeurent les restes de l’ancienne Synagogue. Cette dame, après une visite guidée, m’a dit : “Merci, ici mon âme ressentait des vibrations particulières ; je me sentais chez moi ». Ces dires m’ont énormément émue !