France / Provence

Marseille

Vue extérieure de la Grande synagogue de Marseille
Grande synagogue de Marseille. Photo de Rvalette – Wikipedia

La présence juive marseillaise remonte au moins au 6e siècle, comme l’atteste Grégoire de Tours, mais date probablement de l’Empire Romain. Une des activités commerciales principales était leur rôle d’intermédiaire commerciaux entre la Gaule et le Levant. En 576, les juifs de Clermont, victimes de l’intolérance de l’évêque Avitus, se réfugièrent à Marseille, agrandissant la communauté phocéenne.

Au 12e siècle, deux communautés marseillaises se développèrent. La première dans la partie basse de la ville, sous l’autorité du vicomte et la seconde dans les hauteurs sous la dominance du cardinal. Le voyageur Benjamin de Tudèle évoque ces communautés dans ses récits. Selon lui, des yeshivot poursuivaient leur enseignement dans la partie haute de la ville et il souligna leur présence influente, surnommant Marseille la ville des gaonim (savants). Un avis partagé en 1194 par Maïmonide dans une lettre où il note la présence de grands érudits à Marseille. La partie basse de la ville, proche du port, favorisa l’afflux de marchants, bien que les juifs travaillent peu dans les secteurs maritimes. Bien qu’obtenant le statut de citoyens en 1257, les juifs de Marseille furent soumis à des restrictions conséquentes.

Au 14e siècle, les deux communautés s’unifièrent, tandis que les restrictions s’assouplirent. Il y avait alors trois synagogues et un mikveh. La politique angevine permit l’épanouissement des juifs de Provence, notamment à Marseille. Les juifs étaient alors très bien intégrés dans la Cité, participant aussi bien à la production artisanale et agricole qu’à l’entreprenariat dans le corail et l’élevage, mais aussi dans la constitution des bastides.

Vue intérieure de la synagogue de Marseille avec ses lustres
Escalier menant à l’arche sainte. Photo de Efraim69 – Wikipedia

En 1484-1485, le quartier juif fut attaqué. Pillages et meurtres provoquèrent la fuite de nombreux d’entre eux. Une émigration limitée par l’apaisement mis en place par la municipalité l’an suivant ainsi que, quelques années plus tard, par l’arrivée de juifs d’Espagne suite à l’Inquisition. Néanmoins, un avis d’expulsion de la Provence fut décrété en 1500-1501, accompagné d’une vague conséquente de conversions. A cause de cela, il n’y aura plus de vie juive organisée à Marseille jusqu’à la Révolution française et l’émancipation des juifs de France.

Le 18e siècle vu l’arrivée d’autres familles juives et l’établissement d’une nouvelle communauté, principalement originaires d’Avignon et du Comtat Venaissin. Une petite synagogue ainsi qu’un cimetière juif virent le jour. Le premier cimetière se trouvait Traverse des Juifs. Le terrain avait été acheté en 1783 par Salomon Da Silva et Mardochée C. Darmon.

Selon le recensement effectué en 1808 dans la circonscription consistoriale de Marseille, 2527 juifs y résidaient (dont 440 dans la ville phocéenne), ce qui représentait à l’époque un peu plus de 5 % de la population juive française. L’intégration des juifs marseillais à cette époque est illustrée par leur participation à divers secteurs de la vie active.

La population juive marseillaise augmente tout le long du 19e siècle. Ainsi, elle passe de 440 en 1808, à 900 en 1831, 2113 en 1861 et 2557 en 1866, deux ans après l’inauguration du Grand Temple de la rue Breteuil. Suite à une stagnation dans les dernières décennies du 19e siècle, la population juive marseillaise atteint 2500 personnes en 1897.

Albert Cohen au Lycée Thiers de Marseille. Photo de Wikipedia

Néanmoins, cette présence est renforcée dans l’entre-deux-guerres. Avec tout d’abord l’arrivée de nombreux juifs issus de l’ancien Empire Ottoman, puis des réfugiés d’Allemagne et d’Europe de l’Est qui fuient la montée du nazisme. Albert Cohen dédie de nombreuses pages à la ville qui l’accueillit enfant dans MangeclousLe Livre de ma mère et O vous frères humains, qu’il s’agisse de son glorieux personnage Scipion (hommage à son ancien camarade de classe Marcel Pagnol), des moments de douceur sur la Canebière, mais aussi de sa première confrontation avec l’antisémitisme.

Marseille devient une des villes refuges du sud de la France suite à l’occupation de 1939. Ainsi, il y aurait eu jusqu’à 40000 juifs en 1942, des réfugiés en grande partie aidés par de nombreuses associations françaises comme l’OSE ou américaine comme le Joint. Les juifs seront victimes pendant ces trois premières années de guerre d’actions des mouvements collaborationnistes : pillages de magasins en 1940 et tentative d’attentat contre la synagogue en 1941.

Les juifs intègrent en grand nombre la Résistance et sont très actifs lorsque les Allemands envahissent Marseille. Parmi eux, le réseau de Maurice Korzec (1924-1943) qui organise de nombreux sabotages et attaques contre des troupes allemandes et sera torturé et fusillé par les occupants. Une grande rafle se déroule dans la nuit du 23 au 24 janvier 1943, causant l’arrestation de 6000 personnes, principalement juives. Basé à Marseille, le journaliste américain Varian Fry organisa le sauvetage de plusieurs milliers de juifs et militants anti-nazis. La série Transatlantic diffusée par Netflix en 2023 raconte cette histoire.

Retrouvailles de Mangeclous et Scipion à Marseille dans le film de Moshé Mizrahi

A la Libération de Marseille, la population juive n’est plus que de 12000 membres. La communauté se reconstruisit doucement, dirigée par le rabbin Israël Salzer. Une évolution démographique se manifeste comme dans les autres villes de France, grâce à la fois au baby-boom national mais aussi à l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord suite à la décolonisation. Ainsi, selon une étude du Fonds Social Juif Unifié de 1970, la population juive marseillaise était de 65000 à l’époque. Parmi les lieux à visiter, le Mémorial des rapatriés d’Algérie, monument en forme d’hélice réalisé par le sculpteur César, un lieu avec une magnifique vue sur la mer que traversèrent ces rapatriés il y a soixante ans.

Une communauté très hétérogène, avec des synagogues de rites très différents ; tunisien, algérien, marocain, égyptien, grecs, comtadins… Parmi les synagogues marseillaises, Tiféreth Israël, surnommée La Pyramide du fait de son étonnante architecture. Dans le quartier nord de Marseille se situe la synagogue et centre communautaire Yavné jouxtant l’école du même nom. Un grand complexe qui demeure très actif aujourd’hui. La plupart des juifs vivent alors dans trois quartiers : le centre-ville autour de la Grande synagogue, le Quartier Nord – La Rose où se situe la prestigieuse école Yavné et le quartier Sainte-Marguerite.

Varian Fry. Photo de Wikipedia

Il existe à Marseille trois courants principaux du judaïsme : consistorial, orthodoxe non-consistorial et libéral. L’Union Libérale Israélite de France remonte à 1907 lorsqu’elle fut créée par le rabbin Louis-Germain Lévy et Salomon Reinach.

La principale synagogue consistoriale étant celle de la rue Breteuil, qui gère également un centre communautaire et le magazine Haboné. La synagogue massorti Judaïca a été inaugurée en 2003.

Dans les années 1980, il y avait également une vingtaine de synagogues orthodoxes à Marseille. Les institutions sociales comme le FSJU, le CASIM, L’ORT, l’OPEJ et la Coopération féminine sont également très actifs au tournant du 21e siècle. Ainsi que le Centre Edmond Fleg qui organise de nombreux événements culturels.

En 2015, selon une étude américaine, il y aurait 70000 juifs marseillais, ce qui en fait la troisième plus grande communauté d’Europe après Paris et Londres. Les relations entre juifs et musulmans sont harmonieuses à Marseille et le nombre d’actes antisémites est inférieur à celui d’autres villes françaises depuis la recrudescence de ces actes en 2000.

En janvier 2023, une commémoration a été organisée par la Ville de Marseille, en souvenir des 80 and des rafles du Vieux-Port, de l’Opéra et de la destruction des Vieux-Quartiers. Une place a également été nommée en souvenir de la nuit du 23 janvier 1943.

Sources : « La Communauté juive à Marseille » de Carol Iancu, « Les juifs de Marseille au XIVe siècle » de Juliette Sitbon, Encyclopaedia Judaica.