Les sculptures du portail Saint-Anne de la cathédrale Notre-Dame de Paris nous offrent un des témoignages les plus émouvants du judaïsme médiéval. La frise en question, sculptée juste au dessus de la porte, date de la fin du XIIe siècle. Elle représente la rencontre de sainte Anne (la mère de la Vierge) et de son futur époux saint Joachim.
L’artiste inconnu prit les juifs de Paris pour modèle afin de représenter ces premiers chrétiens. Les hommes représentés portent la longue robe et le chapeau pointu qui caractérisaient les juifs du Moyen-Age.
La partie gauche illustre le mariage d’Anne et de Joachim. Au centre, le rabbin, enveloppé dans son châle de prière, tient les fiancés par la main. Tout contribue à recréer l’atmosphère d’une synagogue parisienne. L’artiste a minutieusement sculpté les petites arches, la lampe perpétuelle et les nombreux livres entassés si caractéristique de la vie juive.
Au centre, une iconographie purement chrétienne : un ange annonce au couple stérile la naissance prochaine de Marie. A droite, Anne et Joachim portent leurs offrandes à la synagogue. Sur l’autel, un rouleau de la Torah. L’extrémité de la frise représente deux juifs discutant. Ces personnages de pierre nous transmettent les images d’un judaïsme lointain.
Portons maintenant notre attention sur les deux contreforts centraux de la façade principale. La niche de droite abrite La Synagogue vaincue, les yeux bandés d’un serpent, le sceptre brisé et la couronne foulée aux pieds. Cette statue est une œuvre de Fromanger. Lui faisant pendant, à gauche : L’Eglise triomphante, de Geoffroy Dechaume. Ces sculptures du XIXe siècle furent réalisées lors des travaux de restauration entrepris par Viollet-le-Duc afin de remplacer les œuvres originales détruites à la Révolution. Juste au-dessus, la galerie des Rois représente vingt-huit rois de Juda et d’Israël qui, selon la tradition chrétienne, sont les ancêtres de Jésus.
En 1977, lors de travaux rue de la Chaussée-d’Antin, 364 fragments sculptés provenant de Notre-Dame et brisés à la Révolution ont été découverts. Si aucune trace n’a été retrouvée de La Synagogue vaincue, vingt et une têtes (sur vingt-huit) des rois de Juda et d’Israël ont été mises au jour. Elles sont exposées au Musée national du Moyen-Age des Thermes de Cluny.
En 1849, lors des travaux d’aménagement de la librairie Hachette, à l’angle de la rue Pierre-Sarrazin et de la rue de la Huchette, l’actuel boulevard Saint-Michel, furent mises au jour près de quatre-vingts stèles juives, dont la plupart furent données au musée de Cluny par Louis Hachette. D’autres stèles, situées à proximité du lieu de la future découverte et encore visibles au XVIIe siècle, furent transcrites par Étienne Baluze avant leur disparition. Cet ensemble exceptionnel, aujourd’hui en grande partie déposé au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, est le principal témoignage matériel de l’importante communauté juive établie à Paris aux XIIe et XIIIe siècles. En effet, si l’on sait qu’il y avait deux cimetières juifs à Paris au XIIIe siècle (et un troisième, rive droite, utilisé à une période plus tardive, au XIVe siècle), on conserve seulement des traces documentaires du second, fermé dès 1273.
Le cimetière juif de la rue Pierre-Sarrazin s’étendait sur une part non négligeable de la rive gauche, entre les rues Pierre-Sarrazin, Hautefeuille, de la Harpe et des Deux-Portes (le tracé de ces deux dernières rues correspondant à celui des actuels boulevards Saint-Michel et Saint-Germain). Quelques rares textes permettent d’en suivre l’histoire, notamment un document de 1283 faisant état d’un conflit avec le collège de Bayeux. Dès l’expulsion des juifs par Philippe le Bel en 1306, le cimetière est condamné à disparaître : le terrain est donné par le souverain aux dominicaines de la priorale Saint-Louis de Poissy. La parcelle revendue en 1321 au comte de Forez fut peu à peu lotie. Il est difficile de savoir quand le cimetière commença à être utilisé, en raison du nombre de dalles fragmentaires et non datées. Tout juste peut-on noter que, mis à part une stèle dont la datation est contestée, la plus ancienne stèle datée conservée est celle d’un homme mort en 1235, ce qui semble indiquer que le cimetière n’a accueilli des tombes que pendant à peine plus de trois quarts de siècle.
La rue de la juiverie, aujourd’hui incorporée à la rue de la Cité, était le cœur du premier quartier juif de Paris dès le Ve siècle. Chassés de Paris en 636, les Juifs réoccupèrent cette rue deux siècles plus tard et s’étendirent dans le quartier. Elle était habitée principalement par des juifs riches.
Ils édifièrent, au IXe siècle, une synagogue qui était située à l’emplacement du numéro 5 de la rue de la Juiverie dans l’angle avec la Rue des Marmousets-Cité. En 1183, Philippe Auguste expulsa les juifs du royaume de France et confisqua leurs bien. La synagogue devint l’église de la Madeleine-en-la-Cité. Au siècle suivant elle fut érigée en paroisse. Elle fut fermée en 1790, vendue en 1793 puis démolie durant la Révolution française. La partie de l’Hôtel-Dieu, côté rue de Lutèce, est sur son emplacement.
Un Mémorial des Martyrs de la Déportation a été inauguré en 1962 par le Général de Gaulle. Avec la volonté de la part d’anciens résistants et déportés de partager la mémoire de la déportation.
Rencontre avec Danielle Malka, Guide conférencière nationale
Jguideeurope : Vous écrivez sur votre page de guide conférencière que vous aimez surtout faire vivre les pierres par les personnages. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Danielle Malka : Pour moi, les lieux ont une âme, l’âme de ceux qui y ont vécu. Un itinéraire de visite guidée se construit sur des bâtiments, des rues à faire découvrir autrement. On passe devant des immeubles, on ne lève pas toujours la tête pour les regarder, c’est mon rôle d’attirer l’attention sur ces immeubles, ces hôtels particuliers, de montrer, de raconter ce qu’on ne verrait pas seul naturellement. D’expliquer une époque, une mode, ou pourquoi l’architecte ou le propriétaire a choisi de construire de la sorte. Mais juste montrer des pierres aussi belles soient elle, selon moi, n’a d’intérêt que si on raconte la vie de ceux qui y ont vécu. Le visiteur voit la pierre, mais il ne connaît pas l’histoire autour. Et bien souvent, il faut faire appel à l’imagination du visiteur pour qu’il ressente ce qui a été. Je donne des clés pour repérer l’époque d’un bâtiment, ce qui fait sa spécificité, j’en parle rarement en détails. Promenez-vous dans le Marais. Le Pletzel n’est plus vraiment là. Raconter comment au 19è siècle les Rothschild ont fondé une école là, comment avant la guerre, le Rabbi de Loubavitch venait enseigner là. Où était la poissonnerie Klapish, à quoi ressemblait le marché à ciel ouvert de la rue des Rosiers. Promenez-vous rue Laffitte, l’hôtel particulier des Rothschild a disparu. Du temps du Grand Baron James et de Betty, Balzac, Chopin, Berlioz entre autres y avaient leur rond de serviette. Imaginer les diners, faire revivre les personnages. Voilà ce qui m’intéresse et je vois que c’est aussi cela qui plait aux participants de mes visites. Rue de Monceau, comment ne pas faire revivre ceux qui ont construit leurs hôtels particuliers, Place de l’Opera, comment ne pas évoquer les frères Pereire qui ont tant financé et l’inauguration, par exemple du café de la Paix où l’impératrice Eugenie est arrivée au bras d’Emile Pereire. Là, Herzl a écrit l’Etat des Juifs…
Quel lieu peu connu de ce patrimoine aimez-vous faire découvrir ?
Il y en a beaucoup. A l’époque où c’était possible, je commençais ma visite du Marais Juif devant Notre-Dame. La cathédrale Notre-Dame est connue dans le monde entier. Tout le monde est capable de reconnaître sa façade. Pourtant, peu de gens ont déjà remarqué la bande dessinée/sculptée sur le Portail Ste Anne. Qui voit le rabbin en talith en train de marier Anne (mère de Marie) à Joachim, qui remarque la petite schull qui est dans un angle avec ses livres et sa lampe ? Joachim portant le chapeau pointu distinctif des Juifs au 12è siècle pour que le fidèle illettré de l’époque comprenne bien que les grands-parents de Jésus étaient juifs. Deux sculptures de femmes encadrent les portails. Qui remarque que celle de droite est la synagogue ? Elle a les yeux bandés par un serpent (idée de Viollet le Duc)… Dans le Marais, il y a aussi l’Hôtel St Aignan, Musée d’Art et d’histoire du Judaïsme. Le bâtiment est connu, mais qui voit les restes des noms de ceux qui y avaient un commerce sur les colonnes de la cour ? La statue de Dreyfus dans la cour a aussi une histoire et à partir de là on peut raconter toute l’histoire des juifs et du sionisme à la fin du 19è et au 20è. Le cloitre des Billettes, rue des Archives est aussi porteur de l’histoire d’un Juif condamné au 13è siècle pour meurtre rituel.
Beaucoup de non juifs (et de touristes étrangers) ne connaissent pas le Mémorial de la Shoah où je termine la visite. Le Mur des justes, le Mur des noms. On touche directement à la Shoah, élément d’histoire abstrait pour beaucoup. Les dates de naissance et de déportation de certains bébés frères ou sœurs d’amis, dont je peux raconter l’histoire redonne vie à ces noms gravés sur le marbre. Et j’y évoque aussi la Resistance juive, une découverte pour beaucoup en prenant pour exemple l’histoire de mes parents résistants juifs, ce qui ajoute une touche personnelle plus parlante. Et le rôle des Justes. Mais dans d’autres quartiers aussi on peut raconter la construction des deux synagogues du 9è arrondissement. Qui connaît Daniel Iffla Osiris ? N’est-il pas un monument lui aussi ?
Au cours de toutes mes visites ou presque, je trouve des éléments juifs à faire découvrir et pour ne rien vous cacher, j’en profite pour faire de la pédagogie. Environ 70 % des participants à mes visites ne sont pas juifs. Assis dans une synagogue du Pletzl, j’explique les principales pratiques du judaïsme et cela devient un lieu d’échange et de questions entre participants juifs et non juifs. Toujours dans la bienveillance.
La philanthropie juive est au cœur de ma visite du 9è arrondissement. En faisant un détour par la rue Cambon au cours d’une autre visite des quartiers du luxe à Paris je m’arrête devant l’hôtel de Castille où Herzl s’est installé pendant l’Affaire Dreyfus. Je n’entre pas toujours dans les détails, mais les éléments de compréhension sont là pour ceux qui ne connaissent pas.
Pouvez-vous partager une anecdote particulièrement marquante d’une visite guidée ?
Il y en aurait beaucoup et je suis toujours émue quand grâce à une visite des participants me font connaître un pan de l’histoire de leur famille ou découvrent un pan d’une histoire qu’on ne leur a pas racontée. Comme cette rencontre avec une dame d’une cinquantaine d’années. Elle se savait d’origine juive par son père, mais on n’en parlait pas à la maison et ses parents étaient fâchés avec un oncle dont elle ne savait rien, pas même le motif de la fâcherie. Arrivée au Mémorial de la Shoah cette dame est bouleversée de voir le nom de cet oncle sur le Mur des déportés. Elle décide de rester, monte aux archives. Elle découvre au fil des recherches que cet oncle est encore vivant. Elle le rencontre en secret de sa famille, rencontre ses cousins et permet à cet oncle malade de retrouver son frère et sa famille avant de mourir. La fâcherie ? Comme souvent pas grand-chose. Au lendemain de la guerre, ses parents à elle ont voulu tout oublier, ont changé de nom. L’oncle était resté dans ses cauchemars.