En cette région ukrainienne, l’histoire heureuse et malheureuse des juifs ukrainiens se présente dans ces différentes villes. En saluant les violonistes sur les toits de Lvov, vous penserez à Scholem Aleikhem. Czernowitz, quant à elle, accueillit de nombreuses synagogues et fut aussi la ville natale de Paul Celan. Des synagogues souvent réduites à des murs ou plaques commémoratives. Comme les vestiges des sublimes synagogues de Brody et Zolkiew. Les souvenirs, vestiges de la mémoire, sont eux aussi heureux en pensant à Medzyborz, la ville du Baal Shem Tov et malheureux en se recueillant devant le Mémorial des victimes du massacre de Rovno.

La vie juive ukrainienne fut si diverse en cette région, à l’image des villes et villages et multiples paysages, mais aussi des nombreux massacres du début du 20e siècle à la Shoah. Ville forteresse telle Belgorod, ou lieu d’ouverture comme Odessa, carrefour des cultures, mouvements politiques et festivités nocturnes, à jamais inspirante pour tant d’artistes. Villes dont sont issus des personnalités qui marquèrent l’histoire juive de manière bien différente et complémentaire. D’un point de vue religieux avec Nikolaev, lieu de naissance du rabbi Menachem Mendel Schneerson, les pèlerinages continus à Ouman ou Berditchev, un grand centre de l’hassidisme. Dans le domaine littéraire, l’inévitable Péreiaslav, où Scholem Aleikhem vit le jour. Et bien sûr, Kiev, la capitale avec sa sublime synagogue chorale, lieu de naissance de Golda Meir. Rendez-vous ukrainiens historiques, cultuels et culturels, ou plus simplement dans le mythique hôtel Savoy à Vinnytsia.

Région couvrant les deux tiers du pays, la Suisse alémanique totalise également 70 % de sa population. Avec des villes aussi variées que son centre économique Zurich, la capitale Berne, la ville horlogère de Bienne, l’ancienne université et vie culturelle contemporaine de Bâle, Lucerne et ses festivités, Saint-Gall et sa bibliothèque abbatiale. Sans oublier bien entendu ses montages et lacs faisant le bonheur des vacanciers en toutes saisons.

Si la présence juive à Bâle date probablement du 13e siècle, comme celle de Lucerne, la ville est surtout connue pour avoir accueilli le premier Congrès sioniste en 1897. A Berne, elle est encore plus ancienne, datant du 6e siècle. A Bienne, par contre, la communauté fut surtout composée de juifs alsaciens ayant quitté la région après la guerre de 1870. Qui peuplent aussi les villes de Lengnau et Endingen, où vécurent de manière continue des juifs des siècles durant. Quant à la ville de Zurich, elle compte la plus grande communauté juive suisse.

La population francophone de Suisse se situe à l’ouest dans une région qui couvre près d’un quart de la superficie. Avec ses charmantes petites villes le long des lacs et montagnes, qui accueillent skieurs et public de Festival comme le célèbre événement de Montreux. Mais aussi les sculptures de Fribourg sur ses églises, places reliant les rues ou pont reliant les montagnes. Et bien entendu les deux villes principales de la région que sont la ville universitaire de Lausanne et Genève, accueillant aussi bien les institutions et rendez-vous internationaux, banques et bijouteries. Mais aussi l’impression de textes philosophiques historiques, ainsi qu’une des deux premières bandes dessinées de l’histoire.

Genève est d’ailleurs plus complexe et mystérieuse qu’on imagine, dans des domaines qu’on n’imagine pas. Notamment le grand esprit d’ouverture de son université qui accueillit tant de réfugiés juifs russes au tournant du 20e siècle, parmi lesquels le futur président Haïm Weizmann. Une université à deux pas de la très belle synagogue historique de Genève et du parc de Plainpalais où déambulait le diplomate et écrivain Albert Cohen. Mais ce fut la petite ville voisine de Carouge qui accueillit des juifs avant Genève. Présence plus ancienne encore à Fribourg, datant du 13e siècle. Autres villes de Suisse romande dont la communauté juive se développa au tournant du 20e siècle, Lausanne et La Chaux-de-Fonds avec chacune une très belle synagogue. Moins connue et ancienne, la communauté de Vevey, bordant le Lac Léman, à l’autre bout de l’arc fluvial menant à Genève.  

Pas une des régions où la vie juive slovène fut la plus intense, vous trouverez néanmoins des traces de celle-ci dans les villes de Koper, Nova Gorica, Piran et Stanjel.  

Dans cette région, on retrouve peu de traces de la vie juive à Kidiricevo, Murska Sobota et Ptuj. Par contre, Lendava et Maribor possèdent encore une synagogue. Celle présente dans cette dernière est d’ailleurs une des plus anciennes d’Europe ! Quant à Ljubljana, vous y trouverez un centre communautaire créé en 2013 et très actif comme nous le raconte son directeur sur la page dédiée à la ville.

Dans cette région, vous pourrez visiter d’anciennes synagogues à Bardejov, Kosice et surtout la sublime synagogue de Presov. Malheureusement, les traces de cette vie juive sont plus maigres à Stropkov.

Bratislava fut un des centres européens du judaïsme, lorsqu’y vécut le rabbin Hatam Sofer. Quant à sa voisine Trencin, elle accueille une très belle synagogue du début du 20e.

Région moins célèbre que la Bohème, la Moravie compte des lieux de culte juifs très anciens et de genres très différents, selon les influences locales et régionales.

Et si vous montiez sur les épaules du Golem ou voyagiez entre les lignes de Kafka pour parcourir l’enchanteresse Prague ou surmonter ses murailles à la découverte de toutes les traces de présence juive dans de nombreuses villes de la région de Bohème ?

Si Gomel et fut majoritairement juive au tournant du 20e siècle, il n’y reste que très peu de traces aujourd’hui, un cinéma ayant par exemple remplacé une synagogue. De même pour la présence juive à Moguilev, où une synagogue fut transformée en Maison de la culture physique. Mais en vous promenant dans cette région, vous aurez le droit de rêver à des lendemains qui peignent en visitant Vitebsk, lieu de naissance de Marc Chagall.

Parmi les villes biélorusses importantes, on présente ici Brest-Litovsk, qui fut à majorité juive au début du 20e siècle et fut surtout connue pour le traité qui y fut signé par Trotsky. Mais aussi, des traces, parfois précaires, de la vie juive à Grodno, connue pour sa grande activité religieuse des juifs et catholiques, la présence ancienne de Roujany et la synagogue de Slonim datant de 1642.

Dans le centre de la Biélorussie, les villes principales liées au patrimoine culturel juif sont Bobroujsk, un shtetl typique, Minsk qui accueillit les commerçants travaillant avec les pays voisins russe et polonais et Mir qui accueillit une des plus grandes yeshivot au monde à la fin du 19e siècle.

Dans la région des plaines, une vie juive est maintenue par les habitants de Plovdiv qui accueille une très belle synagogue toute en couleurs pour ses petites centaines de fidèles. Des efforts pour redonner à vie à des synagogues sont entrepris à Ruse, la ville de naissance d’Elias Canetti, et celle de Burgas, transformée en galerie d’art. Plus étonnant encore, de récentes fouilles archéologiques ont permis de découvrir une synagogue datant du 13e siècle à Veliko Tarnovo.

Sofia, la capitale bulgare, accueille un très beau temple sépharade, un des trois plus importants d’Europe, mais aussi un musée dédié au sauvetage des juifs pendant la guerre. Dans un style tout à fait différent, vous trouverez à Samokov une synagogue classée monument historique et une synagogue actuellement transformée en centre culturel à Vidin.

Dans cette région, la ville de Wlodawa une synagogue baroque particulièrement intéressante, édifiée à la fin du 18e siècle. A proximité se trouve le camp de Sobibor où furent massacrés un très grand nombre de victimes de la Shoah.

Sur le Plateau de Lublin, on peut observer des traces très anciennes de la vie juive, comme l’atteste la présence de synagogues du 17e siècle à Jozefow, Zamosc et Szczebrzeszyn et une du 18e siècle à Kazimierz Dolny. Bien sûr, c’est à Lublin que l’on trouve le plus de lieux à visiter en référence au patrimoine culturel juif de la région. Sa synagogue, son mikveh, ses petites rues et longue histoire, notamment avec les imprimeries hébraïques du 16e siècle.

Dans cette vaste région on trouve à la fois d’anciennes traces de vie juive à Lancut, Lesko, Przemysl, Rymanow, Rzeszow et Tarnow, le musée de la famille Ulma à Markowa, des grandes villes telle Cracovie, mais aussi les camps d’Auschwitz et Birkenau.  

Vous serez étonnés de découvrir sur notre page dédiée à la ville de Bialystok le nombre impressionnant de synagogues qu’elle accueillait, même si son nom est surtout connu aujourd’hui dans la culture juive populaire pour le nom du personnage que Mel Brooks lui donna dans Les Producteurs. Quant à la communauté de Tykocin elle remonte au 16e siècle !

La région de la Basse Vistule est tristement célèbre dans l’histoire juive pour ses nombreux massacres perpétrés pendant la Shoah, en particulier à Chelmno. C’est d’ailleurs dans cette ville que débute le film de Claude Lanzmann.

Région très variée par ses références à l’histoire juive, on y trouve notamment Gora Kalwaria surnommée il y a bien longtemps « la nouvelle Jérusalem », la très importante communauté de Lodz avant-guerre, la capitale Varsovie où la vie culturelle juive fut foisonnante jusqu’en 1942 et même en cette année lorsqu’emmurés et affamés dans le ghetto de Varsovie des pièces y furent jouées dans un esprit de Résistance, avant d’être envoyés à Treblinka. De nombreux lieux évoquent aujourd’hui la mémoire juive à Varsovie et l’entretiennent, en particulier le musée Polin.

Bien que restaurée en 1947, cette synagogue sert aujourd'hui de dépot
Beit Hamidrash Synagogue de Bucarest. Photo de Mireille Marseille – Wikipedia

Bien que les ressources pétrolières de son sous-sol soient aujourd’hui largement épuisées, la Valachie reste le centre économique du pays. Cette région fut d’abord vassalisée par la Hongrie jusqu’en 1330, avant de tomber sous l’influence ottomane. Un certain nombre de juifs chassés de Hongrie au milieu du XVe siècle s’étaient établis sur les versants valaques des Carpates suivis, après 1492, par ceux que les Rois catholiques expulsaient d’Espagne. Reçus avec bienveillance dans les régions où s’exerce le pouvoir du sultan (les rivages méditerranéens et les Balkans) et sur les terres des Princes de Valachie qui entendent ainsi favoriser le commerce, les juifs sont quand même, au cours de la seconde moitié du XVe siècle, victimes de la cruauté de Vlad l’Empaleur, plus connu sous le nom de Dracula. Si leur importance économique croît au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la législation, qui demeure médiévale, préconise une séparation nette d’avec les chrétiens. Certes, sous le règne des princes phanariotes (de religion chrétienne, recrutés par le sultan dans le quartier grec d’Istanbul afin de gouverner les pays danubiens), leur sécurité est garantie mais déjà l’antijudaïsme populaire, d’inspiration chrétienne-orthodoxe, conduit à l’accusation de meurtres rituels, aux écrits injurieux, aux pogroms.

Cimetière important de la ville, témoignant de la place des deux communautés, ashkénaze et sépharade à Bucarest
Cimetière sépharade de Bucarest. Photo de Andrei Store

Avec la mainmise de Moscou sur les principautés roumaines, après le traité d’Adrianapole en 1829, la situation juridique des juifs, calquée sur celle en vigueur dans l’Empire du Tsar, se détériore alors qu’un important flux migratoire juif arrive de la Moldavie orientale annexée également par la Russie. Le sursaut révolutionnaire de 1848, proclamant comme en France l’égalité des droits pour tous, ne tient pas ses promesses. Au XVIIIe siècle, la Valachie devient autrichienne, puis russe. En 1859, elle s’unit avec la Moldavie, formant un nouveau royaume qui acquit son indépendance en 1878.

Malgré l’insistance d’Adolphe Crémieux et les pressions des États démocratiques occidentaux, malgré la participation juive à la guerre aboutissant à l’indépendance de la Roumanie (1877) et à la Grande Guerre au côté des Alliés (1916-1918), l’égalité civile et le respect des droits des juifs en tant que minorité ne leur sont accordés que bien plus tard, par la Constitution de 1923. À cette époque, d’importantes populations juives magyarophones de Transylvanie, germanophone de Bucovine, de langue yiddish ou russophone de Bessarabie, se retrouvent unies au sein de la Grande Roumanie du Traité de Versailles. Quinze années plus tard, ces acquis sont remis en question par la législation antisémite du gouvernement Goza-Cuza. Le démembrement du pays, à partir de l’été 1940, son entrée en guerre contre l’URSS aux côtés de l’Allemagne hitlérienne puis, après la défaite, l’installation d’un régime communiste pur et dur, donnent le glas du judaïsme roumain.

Synagogue restaurée après la guerre et faisant partie du patrimoine national roumain
Synagogue de Vatra Dornei. Carte postale ancienne – Wikipedia

Fondée en 1329 par Bodgan Ier, la principauté de Moldavie fit jouer, cinq siècles durant, ceux qui la convoitaient -Turcs, Autrichiens et Polonais, Cosaques ou Russes – les uns contre les autres.

Privée en 1775 de sa partie septentrionale, la Bucovine annexée par les Habsbourg, et en 1812 de la Bessarabie, sa province orientale cédée à la Russie, elle les retrouve au sein de la Grande Roumanie après la Première Guerre mondiale, avant de les perdre de nouveau à la fin de la Seconde.

 

Synagogue ayant accuilli le mouvement sioniste avant la guerre, elle est la seule en activité aujourd'hui dans la ville de Galati
Synagogue de Galati. Photo de Daniela Horovitz – Wikipedia

Si, en Valachie, les premières vagues d’immigration furent à forte dominante séfarade, ce sont des ashkénazes originaires de Pologne et d’Ukraine qui s’installèrent en Moldavie. Bien accueillis par le prince Étienne le Grand dans la seconde moitié du XVe siècle, tenus cependant à l’écart des populations chrétiennes, ils furent massacrés au milieu du XVIIe siècle par les Cosaques de Khmelnitsky lors des révoltes contre le pouvoir polonais. Au cours des deux siècles suivants, et jusqu’à l’unification, de véritables institutions communautaires se mirent en place, aussi bien à Jassy, la capitale, que dans les bourgades juives qui se multiplièrent sous le règne des princes phanariotes. En 1941, l’entrée en guerre de la Roumanie aux côtés de l’Allemagne, s’accompagne de pogroms à Jassy et à Dorohoi. Les populations juives de Bessarabie et de Bucovine sont déportées au-delà du Dniestr, où elles seront victimes de la faim, des maladies et des exécutions massives perpétrées par l’armée roumaine.

L’art de la conciliation

Si les juifs de Valachie sont vifs et d’une redoutable efficacité, les juifs moldaves aiment à peser leurs mots et prendre du temps avant d’opérer un choix essentiel. De tempérament rêveur et ironique, ils témoignent en toute circonstance d’un rare esprit de conciliation, comme le montre une histoire drôle entendue dans le train reliant Bucarest à Jassy, la capitale de la Moldavie roumaine.

« Il était une fois, à Piatra Neamtz, (un des foyers du judaïsme moldave) un jeune rabbin qui aimait jouer aux échecs avec le propriétaire d’une des boucheries casher de la bourgade. Un jour, le rabbin disparaît. Il ne revient qu’un demi siècle plus tard. Éberlué, son partenaire de jeu, amaigri et vieilli lui aussi l’interpelle :

-Mais où as-tu été pendant toutes ces années rabbi, pourquoi nous avoir abandonnés ?

-J’étais là-haut sur la montagne, répond le rabbin souriant.

-Et que fait pendant cinquante ans un rabbin tout seul, là-haut sur la montagne ? murmure le boucher contrarié en essayant de garder son calme.

-Eh bien, justement, là-haut sur la montagne, le rabbin réfléchit à la vie, dit le rabbin.

-Et à quelle conclusion es-tu arrivé ? s’écrie le boucher sur le point de perdre toute retenue.

Caressant sa barbe, le rabbin répond :

-Mon ami, la vie est comme une fontaine.

Cette fois, le boucher n’en peut plus :

-Nom de nom ! Cinquante ans tout seul en haut de la montagne pour réfléchir et ne trouver que cette réponse idiote ? Serais-tu devenu fou ?

Alors, son interlocuteur cesse de caresser sa barbe et dit à voix basse :

-Alors, si tu y tiens, elle n’est pas comme une fontaine la vie ! »

Synagogue tenue par les étuidiants juifs de la ville, elle a été restaurée en 1951 et abrite un monument en mémoire de la Shoah
Synagogue de Cluj. Photo de Cluj Napoca – Wikipedia

Au nord de la Valachie et à l’ouest de la Moldavie, au centre de l’arc des Carpates, s’étend la Transylvanie, le pays « au-delà des montagnes », nommé également Erdely en hongrois et Siebenburgen (« les Sept Cités ») en allemand.

Les XIIe et XIIIe siècles voient arriver les colons anglo-saxons et souabes en provenance du Saint-Empire romain germanique. Ils s’installent, à la demande des rois hongrois, pour servir de rempart contre la menace turque et tatare, à l’abri du versant septentrional des Carpates.

Soumise au royaume magyar, tantôt principauté indépendante, tantôt occupée par les Turcs, la Transylvanie est incorporée à l’Empire autrichien en 1691.

Devenue hongroise à partir de 1867, au sein de la monarchie bicéphale des Habsbourg, la population roumaine qui y vit, largement majoritaire, demande et obtient après la Grande Guerre son rattachement à la Roumanie, sanctionné par le Traité de Trianon en 1940, suite aux pressions de l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, Bucarest doit céder la partie nord-ouest de la Transylvanie à la Hongrie. Elle redevient roumaine après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Synagogue de la ville d'Oradea où les monuments de ce genre ont du mal à subsister. Une synagogue a d'ailleurs été transformée en club de jazz
Synagogue de Neologa Oradea. Photo de Radu Trifan – Wikipedia

S’il est admis qu’un petit nombre de juifs sont venus avec les légions romaines, les premières arrivées significatives, d’origine séfarade, ont lieu après le XVIe siècle, par les routes commerciales, soit depuis les principautés danubiennes, soit des Balkans déjà sous tutelle ottomane.

Ce n’est que plus tard, après l’annexion par Vienne, que débute l’immigration ashkénaze en provenance de la Pologne.

L’histoire des juifs de Transylvanie s’affirme entre l’attachement rigoureux à la tradition de ceux qui vivaient dans le nord avant leur extermination (de langue yiddish, entre Sighet et Baia Mare, berceaux du hassidisme et d’une orthodoxie ashkénaze souvent opposés) et les juifs de langue hongroise ou germanophones, de tendance plutôt réformiste à l’ouest et au sud, Oradea et Arad, Timisoara et Cluj, Sibiu et Brasov.

Une seule synagogue demeure à Sighet, construite en 1904 dans un style de la Renaissance
Synagogue de Sighet. Photo de Vberger – Wikipedia

Sous le règne des derniers Habsbourg, les juifs de Transylvanie jouissant des mêmes droits que les autres citoyens de l’Empire, ne connaissent ni discrimination ni marginalisation. Ce n’est qu’une fois la Transylvanie unifiée à la Roumanie qu’ils doivent combattre, avec succès, pour la reconnaissance de leurs droits civils et de leurs droits en tant que minorité.

À partir de la seconde moitié des années 1930, ce succès est remis en question. De septembre 1940 au mois de mars 1944, les communautés juives du nord-ouest de la Transylvanie se retrouvent sous l’autorité du chef d’État hongrois Horthy. Ils subissent alors une législation antisémite aussi inhumaine que celle endurée par les juifs restés dans la Roumanie du général Antonescu, qui eux, auront miraculeusement la vie sauve.

Au printemps 1944, pratiquement toute la population juive de la Transylvanie occupée est déportée à Auschwitz et gazée. Les survivants sont très peu nombreux.

Saccagée pendant la Shoah, la synagogue est aujourd'hui en activité et accueille à ses côtés un mikveh et un restaurant cacher
Synagogue de Brasov. Photo de Emmanuel Dyan – Wikipedia

Qu’il s’agisse de Timisoara, capitale du Banat, de Sibiu ou de Sighisoara, de Brasov ou de Rasnov, cités médiévales encore récemment peuplées de Souabes et de Saxons, du côté transylvain des Carpates où le lynx et l’ours hantent encore les hautes vallées, souffle toujours l’esprit de la Cacanie austro-hongroise, entre les maisons trapues ou baroques aux couleurs éteintes, lilas, rose, jaune ou vert pâle.

Dans cette région, la plupart des juifs étaient germanophones et, contrairement à leurs coreligionnaires du Nord, pratiquaient un judaïsme réformé. La région resta roumaine pendant la Seconde Guerre mondiale et la population juive, quoique spoliée de ses biens et soumise à une impitoyable juridiction antisémite, survécut avant d’émigrer massivement vers Israël ou d’autres pays.

Les briques rouges de ce monument donnent à la synagogue un style lié à la Renaissance assez particulier, avec des fenêtres au style gothique
Synagogue de Sibiu. Photo de Cezar Suceveanu – Wikipedia

Curieuse destinée que celle d’une communauté hétérogène comptant 400000 juifs rescapés entre les frontières rétrécies de la Roumanie après le terrible été de l’année 1940 ! Comment expliquer cette grande proportion de survivants, la plus importante peut-être avec celle du Danemark et de Bulgarie ? Pourquoi leur exode en Israël, ou ailleurs, et comment a-t-il été possible sous les gouvernements communistes répressifs ?

Les juifs roumains racontent, avec leur humour coutumier, qu’ils doivent cette situation unique aux rabbins faiseurs de miracle…En effet, la foi inébranlable d’Alexandre Safra, Grand Rabbin de Roumanie entre 1939 et 1947, parvint à éviter la déportation à ses coreligionnaires.

Oeuvre majeure de l'architecte hongrois Baumhorn, ce monument est pourtant très dégradé aujourd'hui
Synagogue Fabric de Timisoara. Photo de Radufan – Wikipedia

Il sut convaincre les ambassadeurs des pays neutres, du Vatican, et certains membres de la classe politique dont la reine mère et le roi Michel, d’intervenir auprès du dictateur Antonescu, pour que ce dernier diffère indéfiniment la déportation de « ses » juifs. L’esprit manoeuvrier de son successeur, Moses Rosen, imposé par les communistes mais fin diplomate, ouvrit aux juifs roumains les portes de l’État d’Israël. Il parvint à convaincre un autre tyran, en l’occurence Ceausescu, de laisser émigrer les juifs roumains, brimés en raison de leur appartenance à la classe moyenne ou accusés de « cosmopolitisme ». Dès le début des années 1960, en échange de considérables contreparties financières, les juifs purent quitter la Roumanie pour Israël.

Rappelons que, jadis, dans la région reculée du Maramuresh, à l’extrême nord de la Roumanie, les juifs orthodoxes pratiquaient l’agriculture à l’instar de leurs voisins roumains ou hongrois. Ils ont disparu. Peu à peu, leur souvenir s’efface, tout comme celui des derniers Habsbourg, leurs protecteurs et amis.

Haggadah, Crète (1583, Bibliothèque nationale de France, Paris).
Haggadah, Crète 1583 © Bibliothèque nationale de France, Paris

Les juifs ont connu une histoire singulière et mouvementée sur cette île, l’une des plus importantes de Méditerranée. Sous l’Empire byzantin, les juifs crétois crurent l’heure arrivée de la rédemption libératrice. Un faux messie, un rabbin dénommé Moïse, leur promit en 430 qu’il les conduirait tous à Jérusalem. Ils se jetèrent en masse dans une mer déchaînée et s’y noyèrent. Quelques siècles plus tard, la main de Venise s’étendit sur l’île, et la communauté juive dut se regrouper dans des ghettos. Avec la domination ottomane, un sort plus clément lui fut réservé. Mais, quand il fut question de leur octroyer un siège de député à un parlement local, au milieu du XIXe siècle, ce furent les Grecs qui protestèrent. Après un grand soulèvement, ponctué d’incidents antisémites, l’autonomie de la Crète fut décrétée, prélude à son rattachement à la Grèce en 1913. Le 6 juin 1944, le jour où l’armée alliée débarquait en Normandie, 269 juifs de La Canée furent déportés par les nazis. Ils périrent en mer dans un navire coulé par des avions allemands ou, plus vraisemblablement, par un sous-marin anglais.

Et si les juifs avaient été, à l’origine, des Crétois ?

L’historien Tacite n’hésite pas, au IIe siècle, à émettre une telle hypothèse. Ces « Judaei, écrit-il dans le livre V des Histoires, pourraient bien avoir été, à en juger sur leur nom, des Idaei », c’est-à-dire des « voisins du mont Ida », la montagne crétoise qui culmine à 2500 m au centre de l’île.

Cette région de collines douces jalonnées de vignes mérite une visite de deux jours, au nom de la mémoire. Il reste, en effet, peu de témoignages de la communauté juive, pratiquement rayée de la carte par l’holocauste.

tevah de la synagogue de Dubrovnik en Croatie
Synagogue de Dubrovnik. Photo de Eliezer Papo – Wikipedia

Quelques centaines de juifs espagnols, arrivés sur les rivages de l’Adriatique, jouent pendant des siècles un rôle clé dans le développement de ces principautés du littoral, et contribuent largement à leur prospérité. Exploitant leurs relations avec leurs coreligionnaires installés à Venise et Constantinople, les juifs de Dalmatie apportent une contribution précieuse à ces cités adossées à la montagne, qui ne survivent que grâce à un habile jeu de balance entre l’Empire ottoman et la Cité des Doges.

Habitant les mêmes quartiers mais rarement soumis à l’institution du ghetto, il saluent néanmoins les premiers effets de la Révolution française, ou plutôt de son prolongement napoléonien. Le décret adopté le 22 juin 1808 par le maréchal Marmont, duc de Raguse (Dubrovnik), assure aux juifs l’égalité des droits avec les autres citoyens. Lorsque les Autrichiens prennent possession des territoires, en 1814, ils commencent par restaurer l’ancienne législation.

Pourtant, peu après, c’est l’émancipation complète. La région connaît un déclin certain au cours du XIXe siècle, du fait de son enclavement et de la décomposition progressive de l’Empire ottoman qui la borde. Les communautés juives locales, déjà peu nombreuses, ne maintiennent leurs maigres effectifs qu’avec l’arrivée de coreligionnaires en provenance de la Bosnie turque, où la situation économique est moins enviable encore.

Tombes entourant un arbre dans le cimetière juif de Split en Croatie
Cimetière juif de Split. Photo de MoS810 – Wikipedia

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Dalmatie sert, à titre provisoire, de refuge pour les juifs pourchassés ailleurs en Yougoslavie. Mussolini a, en effet, obtenu de Hitler la concession du littoral, dont deux villes, Rijeka (Fiume) et Zadar, sont déjà sous contrôle italien depuis la fin de la Grande Guerre. Lorsque le gouvernement italien capitule, en septembre 1943, l’armée allemande se précipite sur la côte et traque les juifs. Une partie de la communauté réussit cependant à se réfugier dans les zones libérées par les partisans yougoslaves. Un bataillon juif parvient même à se constituer dans l’île de Rab, où les italiens ont interné une partie de la communauté. D’une manière générale, les juifs yougoslaves ayant réussi à échapper aux oustachis et aux nazis prennent une part très active à la Résistance, fournissant aux troupes de Tito l’essentiel de leurs services de santé.

Moshe Maralio a fait contre mauvaise fortune bon coeur quand l’archevêque de Dubrovnik lui refuse le poste de médecin en chef de la République. Pour ce juif italien, arrivé de Barletta en 1494, l’essentiel est de pouvoir continuer à exercer à titre privé, jouissant de l’estime de tous dans la ville et même au-delà, puisque les dignitaires turcs de la Bosnie environnante font régulièrement appel à ses services. Maralio a pourtant le triste privilège d’être victime de l’une des rares accusations de « crime rituel » proférées contre les juifs de la côte dalmate. Son procès et celui de neuf de ses coreligionnaires, tel qu’on peut le reconstituer à partir des archives historiques de Dubrovnik, s’est tenu du 5 au 11 août 1502. Accusés, apparemment sans la moindre preuve, d’avoir arraché le coeur d’une vieille femme, la moitié des prévenus furent torturés à mort, les autres brûlés vifs.

Selon toute vraisemblance, le judaïsme espagnol est né dans cette région. Des pierres du IIIe siècle en portent déjà la trace et, selon le chroniqueur du XIIe siècle, Abraham ibn Daud, les juifs que Titus déporta de Jérusalem, s’installèrent dans cette ancienne province romaine. Pourtant, ici comme ailleurs, cette longue présence a laissé peu de traces pour le visiteur.

Sur le plan historique, il est possible de dater la présence de juifs en Andalousie du concile d’Elvira (303-309), puisqu’on y fait allusion à la nécessité de séparer les juifs des chrétiens.